Le surendettement touche des centaines de milliers de foyers français, y compris dans les classes moyennes. Le secteur social et hospitalier en souffre aussi et défend une approche de prévention et d’écoute.
Avec son ton rocailleux, ses formules percutantes et son regard clair, Jean-Louis Kiehl crève l’écran dans le film documentaire « Ma vie à crédit », réalisé par Aurélien Chalon à la demande de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH). «En France, un dossier de surendettement est déposé toutes les deux minutes !», s’alarme Jean-Louis Kiehl. «Nous savons tous que le surendettement est une violence. Aujourd’hui, ce sont aussi les classes moyennes supérieures qui plongent.» Le président alsacien de la Fédération des Chambres régionales de surendettement social (Crésus) ne mâche pas ses mots.
« Les gens parviennent de moins en moins à faire face aux charges du quotidien. Souvent, quand ils viennent nous voir, ils ont déjà lutté… beaucoup lutté »
Ce mouvement né à Strasbourg de l’initiative de cadres bancaires inquiets des dérives de la distribution de crédits aux particuliers aide les ménages à se sortir de la spirale destructrice de l’emprunt. Cette « vie à crédit » qui conduit certains à finir par emprunter simplement pour manger. Le surendettement, au sens des commissions gérées par la Banque de France, a frappé plus de 205 000 personnes en 2014 en France (lire ci-dessous). Mais la vie à crédit et ses souffrances frappent évidemment un nombre plus important de foyers.
Émouvant par la qualité de ses témoignages, recueillis pour partie en Alsace, le film documentaire sert de base à la campagne de prévention que mènent la MNH et le CGOS, le Comité de gestion des œuvres sociales des établissements hospitaliers. Il a été projeté il y a quelques jours dans la salle des fêtes de l’hôpital civil de Strasbourg.
Cette démarche de prévention ne date pas d’hier et la MNH faisait, auparavant, témoigner en direct des personnes surendettées. Le film a le mérite de recréer une distance et d’éviter d’ajouter du malaise à la souffrance. Car il est bien difficile, et certains témoins pleurent devant la caméra, d’évoquer en public ces impasses financières, qu’elles soient le fruit de la légèreté, de l’ignorance, de la naïveté. Ou des accidents de la vie, maladie, séparation ou perte d’emploi qui jouent un rôle important dans le surendettement.
«On est troublé par le niveau d’endettement de certaines familles, combiné avec des accidents de la vie. Il faut trouver un moyen pour limiter le recours à l’endettement et faire davantage jouer la solidarité», commente Joseph Sladek, président du CGOS Alsace-Moselle et directeur des ressources humaines de l’hôpital de Haguenau.
«Les gens parviennent de moins en moins à faire face aux charges du quotidien. Souvent, quand ils viennent nous voir, ils ont déjà lutté, beaucoup lutté. Il faut valoriser ce que ces personnes ont pu faire, de sorte qu’elles repartent de l’entretien avec un peu d’espoir», fait observer avec une certaine humilité Christelle Le Corvic, assistante sociale aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Sa collègue Claudine Mahon, qui travaille à l’hôpital de Strasbourg-Hautepierre, le confirme : «Souvent le reste à vivre est très faible, et les gens sont véritablement acculés lorsqu’ils viennent nous voir, quand ils n’ont plus de moyens pour s’en sortir.»
Pour Médéric Monestier, directeur général de la Banque française mutualiste (BFM), qui compte 1,2 million de fonctionnaires et ayant droit clients, la priorité est de défendre des valeurs et d’assurer une certaine prévention : « Notre banque a été créée il y a trente ans par plusieurs dizaines de mutuelles de fonctionnaires dans un esprit de protection qui n’est pas forcément celui qui prévaut dans les autres réseaux bancaires. La BFM ne fait pas de crédits renouvelables. Nous essayons d’apporter des solutions différentes. » Mais il est également lucide : «Emprunter n’est pas une mauvaise chose en soi et les frais bancaires sont nécessaires.»
Jean-Louis Kiehl, qui connaît le milieu bancaire mieux que le fond de ses poches, juge inutile de mettre en cause la banque d’une façon générale, même si certains comportements sont condamnables : «La banque prête parfois de façon aveugle, pratique le scoring en rangeant les clients dans des cases comme des petits cochons», dit-il avec humour.
« Cela fait vingt-cinq ans qu’on attend un fichier des crédits. Il ne faut pas taper sur les banquiers, ça ne sert à rien… On est tous responsables et en premier, l’État »
Le président de Crésus estime qu’il faut analyser le problème du surendettement en termes de co-responsabilité. Il juge d’ailleurs que cette notion de partage des responsabilités est un état d’esprit ancien en Alsace. Mais il enrage de voir que la France est incapable de mettre sur pied un « registre des crédits » comme il en existe en Allemagne depuis 1927, selon lui.
Écarté par le législateur, un tel fichier permettrait aux établissements prêteurs de ne pas se fier aux seules déclarations des candidats emprunteurs pour juger de leur niveau d’exposition à la dette.
Car tous les professionnels le savent, au-delà d’un certain ratio d’endettement par rapport au revenu, il est déraisonnable d’emprunter davantage. Or certains surendettés n’ont aucune connaissance du nombre et du montant de leurs dettes. Le crédit renouvelable, en particulier, fait des ravages par son côté invisible et ses taux exorbitants.
« Cela fait vingt-cinq ans qu’on attend un fichier des crédits. Il ne faut pas taper sur les banquiers… On est tous responsables et le premier responsable est l’État », dit Jean-Louis Kiehl. Jugement sévère d’un homme visiblement pas encore fatigué de plaider.
Article paru le 01/02/2016 dans les DNA, rédigé par ANTOINE LATHAM